Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

A Kyôto par Thierry Bellefroid
« A Kyôto », par Pierre Duba. Chez 6 Pieds Sous Terre.

Plus le temps passe, plus Pierre Duba affine sa technique graphique. En ce sens, on peut considérer « A Kyôto » comme l'aboutissement de sa déjà longue carrière (ses débuts à Futuro remontent tout de même à près de vingt ans). Ouvrir ce livre, c'est plonger dans une journée de voyage peu ordinaire, à la suite de l'auteur et de son ami Daniel Jeanneteau, déjà complices sur le précédent « Kyoto-Béziers ». Une journée qui allie l'anecdote au fantasme, l'onirique au récit de contes japonais, une journée à la fois sublimée, imaginaire et captive de l'âme nippone. Les auteurs s'y mettent habilement en scène, sans insister, sans définir ni les rôles ni les libertés prises avec le temps. En fait, sur le modèle de la calligraphie, Pierre Duba semble justement ne pas tenir compte des règles temporelles en vigueur dans la bande dessinée ; le temps est suspendu, seul compte le geste, la beauté du geste, le sens du geste, l'émotion qu'il fait naître. Le pinceau est plus léger que jamais, l'encre diluée au maximum, l'eau délave les couleurs et les transcende en même temps, le dessin en devient cristallin, les ambiances diaphanes. Mais cette légèreté de la matière n'est qu'un leurre. Elle accroche le regard dans les premières pages pour mieux surprendre l'œil ensuite. Plus le livre avance, plus l'auteur joue avec la couleur. Dans les scènes de forêt sous la pluie, ce n'est plus l'eau et la couleur qui se mélangent, c'est la couleur qui figure l'eau, dans toute sa pureté. Tantôt éclatant de rouge, tantôt aussi sombre qu'il est possible de l'être en restant lisible, le livre est un parcours de couleur et d'eau qui va de l'humidité vers l'humidité, de la brume vers la brume. Avec quelques éclats de vie brute entre les deux. Magnifique.
Un automne à Hanôï par Thierry Bellefroid
« Un automne à Hanôï », par Clément Baloup. A La Boîte à Bulles.

Décidément, l'Asie est à l'honneur dans la bande dessinée de ces derniers mois. Et les carnets de voyage se ressemblent parfois étrangement. Comment ne pas faire le rapprochement entre l'expérience de Clément Baloup et celle de Johanna, dans « Née quelque part », publiée dans la jeune collection « Mirages » des éditions Delcourt ? D'un côté comme de l'autre, un auteur qui repart en Asie où il a laissé une partie de ses racines. Le pèlerinage est plus personnel chez Johanna qui se cherche sans doute davantage que Clément Baloup ; elle ramène tout à elle, à son expérience, à son passé, à sa famille. C'est normal, sa quête est une quête intime. Clément Baloup, en revanche, nous entraîne dans un Vietnam capté sur le vif, partagé entre les observations très justes d'un Occidental resté deux mois dans le pays et les anecdotes humaines qui auraient pu fleurir n'importe où. Car de toute évidence, Clément Baloup aime les gens. Son livre s'attarde surtout sur les visages et les petites histoires de ceux qui l'entourent. Sans aucun phylactère, il parvient à les faire vivre. Ses pages sont composées en moyenne de sept à neuf dessins et une case de texte en voix off. Il n'en faut pas plus pour camper une scène, capter un moment magique, restituer un sentiment. Grâce à l'utilisation de la couleur, les ambiances se passent de détails graphiques. L'ensemble apparaît donc comme une fresque aérée et suggestive, un kaléidoscope du Vietnam d'aujourd'hui vu par un dessinateur sensible et observateur.
Muchacho T. 1 (Muchacho) par Thierry Bellefroid
« Muchacho », tome 1. Par Emmanuel Lepage. Chez Dupuis.

Enfin, l'album d'Emmanuel Lepage qu'on avait rêvé ! Après un carnet de voyage intéressant chez Casterman pour nous faire patienter, le dessinateur de « Névé » et de « La terre sans mal » revient à ses premières amours : la BD en solo. Il lui aura fallu environ vingt ans pour effectuer la boucle, travaillant entre-temps avec Dieter et Sibran. Mais le résultat valait l'attente. Et le graphisme mérite aussi bien le détour que l'histoire. Le dessin d'Emmanuel est tout simplement magnifique, il tire parti des décors et des lumières du Nicaragua mais il parvient surtout à y insuffler une âme. Cette âme, c'est la valeur ajoutée qui permet à une bande dessinée d'emporter le lecteur vers de nouveaux horizons. Il y a cinq ans, à la lecture de « La terre sans mal », on s'étonnait de son talent à restituer les ambiances amazoniennes. A l'époque, l'auteur n'avait pas encore une idée très précise de ce qu'était l'Amérique Latine. Depuis, il a voyagé. Et il en a ramené la matière d'une très belle histoire qui nous ramène aux prémices de la révolution sandiniste, fin des années 70 au Nicaragua. Une révolution contre la dictature des Somoza qui s'appuiera sur le mariage entre marxisme et religion pour proposer une sorte de nouveau modèle révolutionnaire. S'inspirant des prêtres qui ont appliqué au Nicaragua plus encore qu'ailleurs la « Théologie de la Libération », Lepage a imaginé la confrontation entre un jeune séminariste issu d'une des grandes familles de Managua et un prêtre de campagne, qui se sert de la Bible pour tenter de mener sa petite révolution, celle de la dignité humaine. Le jeune séminariste, Gabriel, va donc apprendre à désapprendre, et cela commence par le dessin trop académique qu'on lui a enseigné. Chargé de réaliser une fresque dans l'église du village, il va découvrir que la peinture peut transcender son sujet et peut, lorsqu'elle sonde les âmes, révéler l'homme à lui-même, voire faire acte de foi politique. Profond et en même temps léger, le livre d'Emmanuel Lepage emmène le lecteur dans cette quête initiatique qui passe entre autres par l'apprentissage de la chair. Une quête qui va mener Gabriel de la compassion à l'émotion et de la curiosité à la révolte. Des ambiances restituées avec brio, des couleurs sorties tout droit du Nicaragua, des protagonistes de chair et d'os qui ne surjouent jamais et que l'auteur nourrit des lambeaux de l'Histoire... autant de choses qui font de cet album une évidente réussite.
Le voleur de ballerines par Thierry Bellefroid
« Le voleur de ballerines », par Yann et Avril. Chez Albin Michel.

Avril a « régné » sur la ligne claire des années 80 au même titre que Chaland et quelques autres. Finalement, vingt ans plus tard, de ce groupe de dessinateurs, ne restent actifs dans le monde de la BD que Dupuy et Berberian. Les autres tenants de cette ligne claire ultra-épurée ont tous pris des voies de traverse, si ce n'est Stanislas qui s'est longtemps fait attendre. L'épure dans le dessin de cette génération est plus qu'un effet de mode. Et Avril en est sans doute l'un des plus grands « maîtres ». Son dessin n'a pas pris une ride, surtout lorsqu'on ouvre ce livre superbement réédité par Albin Michel, qui offre aux auteurs un très bel écrin. Il faut dire qu'il le mérite, ce livre, en tout cas si on le considère au plan graphique. Les pleines pages sont de véritables bijoux. Quant aux enchaînements de dessins jouant sur les formes, les courbes et les lignes, ils sont d'un esthétisme absolu. Quand on voit les rares dessins récents publiés par Avril (le petit recueil « Studio » par exemple, même s'il date déjà un peu) et plus encore quand on regarde les toiles ou les dessins publicitaires qui sont devenus son quotidien aujourd'hui, on peut se demander ce qu'il serait devenu s'il avait persévéré dans la BD. Son style est tout simplement magistral. Mais que dire de la pauvreté scénaristique de cette histoire ? Yann n'a pas toujours fait des œuvres inoubliables et celle-ci fait sans aucun doute partie de ses péchés de jeunesse. L'a-t-il relue avant la publication ? Si oui, il aura peut-être ri lui-même de la naïveté de son scénario d'époque. Si non, il vaut peut-être mieux qu'il reste sur le sentiment de nostalgie qu'a dû lui laisser cette collaboration... Quoi qu'il en soit, pour le seul plaisir des yeux, voilà une très belle réédition, réalisée avec le soin que méritait l'album.
Smart Monkey par Thierry Bellefroid
« Smart monkey », par Winshluss. Chez Cornélius.

Le cinquième album de Winshluss est incontestablement celui qui le fera entrer dans l'histoire de la BD. Le co-créateur de Monsieur Ferraille y fait la démonstration de son talent de dessinateur d'un bout à l'autre. Epoustouflant d'énergie, de maîtrise et d'humour, son livre est un bonheur, une lecture à ne rater sous aucun prétexte.

Tout commence dans une forêt primaire où le « smart monkey », un singe plutôt déluré qui ressemble à une peluche pour enfant avec un nez de Rastapopoulos nous entraîne dans des aventures muettes d'une prodigieuse vitalité. Winshluss nous offre une vision fantaisiste et décalée de l'évolution et de la découverte du feu par nos ancêtres. Chaque page est l'occasion d'une chasse, d'une course-poursuite ou d'une farce où l'auteur démontre des capacités d'animateur qu'auraient bien pu engager un Tex Avery ou un studio Disney. Avec son noir et blanc tranché, souvent plus proche de l'ombre chinoise que du dessin encré, Winshluss réinvente Tom et Jerry en version primale. Page après page, le lecteur se laisse entraîner avec un bonheur toujours renouvelé. C'est drôle, inventif, magistralement dessiné et, ce qui ne gâche rien, imprimé avec un soin extraordinaire par les éditions Cornélius. Rien à dire, derrière la très belle couverture de cet album se cache un bijou et une leçon de dessin qu'il serait dommage de rater. Puis vient l'épilogue. Retourné comme une crêpe, le lecteur fait un bon de quelques siècles et retrouve les contemporains de Darwin, un explorateur romantique et... une fin à l'histoire. Amusant, totalement inattendu, cet épilogue reprend l'un des personnages préhistoriques là où on l'avait laissé et lui laisse le soin de conclure. Et cela, alors que la première histoire, elle, se concluait déjà de manière parfaite. Winshluss met le point final, on se dit qu'on vient de s'offrir un grand moment de bonheur, avec des envolées graphiques et des trouvailles visuelles rares, de l'humour que seule la BD peut amener. Bref, un livre spirituel et réjouissant.
« Bouyoul in Wonderland » par Loran, aux éditions Le Cycliste.

Le retour de ce sympathique « dragon » qui ne respecte rien. Ayant beaucoup aimé le premier volume de ses gags, j'étais curieux de voir si Bouyoul pouvait tenir sur la longueur. Et dès les premières pages, j'ai su. Loran possède un sens de l'humour visuel évident. Et joue très bien avec les gags « trash » ou « gore ». Gaffeur, mais surtout incontrôlable, son monstre vert s'attaque à tout ce qui bouge, et que les gags soient sur une planche ou sur deux, ils ont à la fois l'impact de la chute finale et la richesse des détails en cours de route. Le début de l'album m'a donc convaincu. Loran pourrait fort bien travailler pour la bande à « Tchô », par exemple. La suite réserve une petite surprise. Sans prévenir, l'auteur décide de passer au récit complet, sur un peu moins d'une trentaine de pages. Evidemment, il devient beaucoup plus difficile de ménager des chutes régulières, des gags à chaque page. L'album se « décale » donc légèrement. Mais Loran s'en tire bien en choisissant la parodie. Son héros est catapulté dans un monde, Wonderland, où se croisent tous les héros des contes de fées. Et là, il y a quelques moments de pur bonheur. Le meilleur du meilleur est sans aucun doute le moment où les sept nains, confondant notre monstre avec le Prince Charmant, lui demandent de réveiller une Blanche Neige déjà passablement décomposée et mangée par les vers ! En dehors de ces moments de pur bonheur -si on aime l'humour un rien trash, évidemment-, le rythme n'y est pas toujours et les pirouettes sont parfois un peu grosses. Bref, de la suite dans les idées, des trouvailles tant visuelles que scénaristiques, mais une force plus grande, tout de même, dans le gag court. De toute manière, un bon moment de lecture, partagé entre le sourire discret et le bon éclat de rire.
Li Fuzhi (Extrême Orient) par Thierry Bellefroid
« Li Fuzhi », tome 1 de la série « Extrême Orient », par Franck Bourgeron. Chez Vents d'Ouest, dans la collection Equinoxe.

La collection « Equinoxe » s'étoffe et nous propose une nouvelle série particulièrement enthousiasmante qui rappelle par bien des côtés « La grippe coloniale », récompensée par le prix de la critique il y a quelques mois. Bourgeron y flirte avec l'Histoire en explorant l'une de ses pages peu exploitée par la BD, mais sans se cantonner à la fresque historique, se centrant davantage sur le destin de son personnage Li Fuzhi. Le graphisme est moderne, très personnel, et s'affiche dès la couverture, particulièrement réussie. L'histoire démarre en 1967 dans le Nord de la Chine pour nous projeter immédiatement quarante ans en arrière à la découverte du début de l'aventure du héros au faciès si particulier qu'il en est presque animalier. Mêlant la guerre entre communistes et nationalistes au destin exceptionnel de son personnage, l'auteur ne perd jamais de vue que le lecteur n'est pas forcément féru d'Histoire. Il donne les informations nécessaires à la bonne compréhension du récit sans en faire trop et surtout, sans jamais casser l'ambiance à la fois épique et politique qui baigne tout le récit. Les planches varient leur construction au gré des besoins de l'histoire, ce qui confère à certaines d'entre elles un pouvoir émotionnel plus fort tandis que d'autres surprennent par leur simple beauté. L'ensemble entraîne le lecteur jusqu'à la dernière page sur les traces d'un héros singulier qui semble plus souvent subir les événements que les dominer. Seule ombre au tableau, une construction temporelle parfois un rien compliquée -le retour presque subliminal à l'action initiale de 1967 en plein milieu du livre- qui peut dérouter certains lecteurs. Pour le reste, un premier album extrêmement original qui constitue bien plus qu'une simple mise en place. Du fond, de l'aventure, de l'« exotisme », une mise en page, une mise en couleur et un graphisme réellement aboutis.
T'ien Keou par Thierry Bellefroid
« T'ien Keou », par Genefort et Ponzio. Chez Soleil.

La collection « Mondes Futurs » nous propose des récits de science-fiction complets et en cela, elle est déjà une bénédiction ! Il y a très peu de récits de SF qui peuvent tenir en un album, pour la simple raison que la plupart d'entre eux nécessitent trop d'explications sur le monde dans lequel évoluent les personnages. Ici, la force de Genefort, est de partir d'éléments graphiques et narratifs qui ne s'encombrent d'aucun détail inutile à l'histoire elle-même. Adaptant sa propre nouvelle, l'auteur raconte une quête, celle d'un jeune garçon promis à un avenir subalterne qui va, pour les beaux yeux d'une amoureuse qui s'en serait bien passé, se dépasser jusqu'à enfreindre toutes les règles. Pour transposer cette idée toute simple dans son univers, Genefort a imaginé un monde où le passage d'une caste sociale à l'autre se fait en réussissant des combats initiatiques contre des « dragons », machines guerrières régissant les entre-mondes. Et pour le prix d'une fleur qu'il doit ravir à un seigneur de guerre, le héros recevra de son maître une arme interdite qui lui permettra de franchir cette épreuve, voire d'aller au-delà de ce qui lui est demandé. Ce que démontre l'auteur, c'est que dans ce monde ritualisé, rien n'est le fruit du hasard. Tout est écrit, tout se paye, même l'accession à la gloire suprême, celle de servir les « Immortels ». La démonstration est parfaite, le récit se clôt sur une image forte, qui prouve à quel point l'apport de Jean-Michel Ponzio est déterminant dans la réussite de ce projet. Son dessin est d'une grande efficacité d'un bout à l'autre, ménageant des effets visuels quand il le faut, privilégiant les ombres et la pénombre mais ne négligeant pas les nécessaires scènes d'action et de combat.
30 jours de nuit par Thierry Bellefroid
« 30 jours de nuit », par Niles et Templesmith. Chez Delcourt.

La collection « Contrebande » nous a habitué à des traductions américaines passionnantes et souvent audacieuses. Guy Delcourt poursuit son exploration de la BD américaine « adulte », ni comics ni mainstream ni underground. On est plus proche ici des graphic novels de grands maîtres comme Neil Gaiman. Et on plonge dès les premières cases dans un univers graphique aussi riche que celui des Mc Kean, David Mack ou autres George Pratt. C'est d'ailleurs la force de cette (trop ?) courte histoire. Son graphisme remarquable travaille comme un levier, il démultiplie un scénario déjà brillant par lui-même. Pas nécessaire d'être un grand fan de films d'horreur ni même d'histoires de vampires pour succomber aux « charmes » de « 30 jours de nuit ». Il suffit d'ouvrir le livre, de lire les trois premières pages... et on est ferré. Un couple de flics regarde le soleil se coucher pour la dernière fois avant 30 jours. On retrouve tous les téléphones portables brûlés dans une fosse. Puis la nuit s'abat sur Barrow, Alaska, et avec elle, la horde de vampires qui savent qu'ils ont enfin trouvé l'eden. L'idée est excellente, elle permet à Steve Niles de contourner l'écueil du déjà-vu. Et elle offre à Ben Templesmith l'occasion de montrer tout le talent qu'il possède : les dents et le sang éclatent dans des pages sombres et toturées, tout comme les yeux de ces personnages assoiffés de sang, sûrs de leur supériorité. La lecture de « 30 jours de nuit » ne peut évidemment pas rivaliser au niveau des sensations avec un bon film d'horreur. Comme toujours, la BD souffre de l'absence de bande-son et surtout de la possibilité, pour le lecteur, de la lire à son rythme et de « résister » à certains effets pour se ménager. Le cinéma a donc une force de frappe indéniablement plus grande. Néanmoins, si l'on excepte cette supériorité du septième art sur le neuvième, « 30 jours de nuit » est sans doute l'un des ouvrages d'horreur les plus accomplis. Et il distille un poison qui s'exprime à travers une forme plus artistique, plus allusive. Au final, on en sort ébloui. Epaté. Réellement conquis. N'ayons pas peur de le dire : l'un des indispensables de l'année !
Légendes en exil (Fables) par Thierry Bellefroid
Je viens de lire... « Fables T.1 », par Bill Willingham et Lan Medina. Chez Semic Books.

« Fables » aurait pu n'être qu'un Columbo en bande dessinée. Si ce n'est que Peter Falk n'est autre que... Le Grand Méchant Loup ! Et cette différence est essentielle. Une jeune femme disparue, son appartement maculé de son sang et cette inscription sur le mur : « et ils ne vécurent plus jamais heureux », voilà pour les éléments de départ. Si ce n'est que la jeune femme disparue n'est autre que la sœur d'une certaine mademoiselle Neige. Sous les aspects classiques de l'enquête policière, Bill Willingham a glissé un monde original, avec ses règles et ses contre-emplois. C'est dans cette science du recyclage des contes qu'excelle le scénariste. Blanche Neige en séduisante maire-adjoint arriviste, le Prince Charmant en bourreau des cœurs volage et profiteur, Barbebleue en riche bretteur retiré dans son château, La Belle et La Bête en consultation conjugale... voilà ce qui fait l'intérêt de ce récit policier somme toute hyper-classique. L'enquête se base sur d'infimes indices transformés en autant de presque preuves par un inspecteur au sens de la déduction surdéveloppé. Pas de courses-poursuites, de fusillades, de baston. Juste une scène d'affrontement entre l'inspecteur, soudain redevenu le loup qu'il a voulu cesser d'être, et Barbebleue, surpris en pleine séance de torture sur un suspect. Pour le reste, de la fantaisie. Du second degré. Un sens continu du contre-emploi et de l'humour référentiel. Bref, du bonheur. Sans chute de rythme et sans lassitude, Bill Willigham et Lan Medina mènent le lecteur jusqu'au dénouement tout en prenant le temps d'installer les personnages, l'intrigue, et les nécessaires explications à propos du monde de « Fables » dans lequel évoluent les personnages. Un livre très réussi.
Zelda (Hauteville House) par Thierry Bellefroid
« Hauteville House » tome 1 : Zelda. Par Duval, Gioux, Quet, Beau. Chez Delcourt.

Voilà sans doute l'une des meilleures surprises de l'année dans le domaine de la BD tout public. « Hauteville House » est déjà au steampunk ce que Boule et Bill sont à la BD familiale : un classique. Plutôt que de créer un monde imaginaire en repartant des décors de l'ère industrielle comme on le voit trop souvent, les auteurs choisissent de remonter un peu plus loin dans le temps (1864), d'avancer la découverte de certaines technologies qui ne seront inventées que des années plus tard (grâce à une utilisation plus efficace de la vapeur) et de repartir d'éléments partiellement historiques. Ce mélange provoque la surprise dès que le lecteur passe le prologue. Un prologue qui installe lui-même d'emblée un joli suspense : il s'achève sur la stupeur des Mexicains entrant dans le sanctuaire abandonné par les Français quelques instants plus tôt -mais qu'ont-ils vu ?... il faudra attendre le prochain album pour le savoir. Le lecteur est emmené manu militari dans un flash-back qui durera tout le reste du tome 1. Remontant le temps à la recherche de l'explication de cette spectaculaire première scène, il découvre des personnages qui font autant penser aux monte-en-l'air du Réseau Bombyce qu'aux agents de renseignements répulicains qui luttent contre le pouvoir centralisateur de Napoléon. Fred Duval, très inspiré, joue à la fois sur l'Histoire (Victor Hugo à Guernesey, les Français aidant l'empereur Maximilien dans sa lutte contre les Juaristes, etc...) et sur le mélange des genres : SF, fiction politique, thriller fantastique évoquant le paranormal... C'est redoutable, essoufflant à force d'inventivité, spectaculaire dans les cadrages. Quant aux surprises réservées au lecteur au détour des décors déjà très soignés, on ne peut que les trouver réussies. Un peu comme si Schuiten, Dorison et Thierry Robin unissaient leurs efforts dans un projet commun. Très prometteur !
« Le démon du Vatican », tome 4 du Scorpion. Par Desberg et Marini. Chez Dargaud.

Le duo Marini-Desberg au meilleur de sa forme. Après des débuts prometteurs, le Scorpion a frôlé l'overdose généralisée : trop d'effets, trop d'esbrouffe graphique, trop de scènes gratuites et de femmes vénéneuses. Nous revoilà au coeur de l'action, rebondissant au gré des pages, repartant dans le passé du Scorpion, tissant la toile des intrigues vaticanes, et voguant de plus belle vers un grand roman d'aventure à la Dumas mâtiné de « Troisième Testament ». Même Marini semble décidé à ne plus en faire trop, jouant davantage sur les ambiances et les couleurs, ne gâchant pas ses personnages dans des poses obligatoirement avantageuses. Bien sûr, l'apparition (dès la couverture) d'une nouvelle femme au torse fort dévêtu dans cette galerie de héros beaux comme des dieux n'est pas totalement désintéressée. Mais où est-il écrit que les grandes histoires romanesques doivent forcément être conduites par des protagonistes austères ? Laissons-nous faire. Ces deux auteurs-là s'amusent, c'est évident. Aux antipodes d'un IRS tiré au cordeau, le Scorpion prouve que Desberg n'a pas perdu son côté fantasque. Il prouve aussi qu'il reste, en ces temps placés sous le signe du manga, une place pour la bonne BD d'aventure franco-belgo-italo-suisse.


« L'homme », tome 1 du « dernier livre de la jungle ». Par Desberg, De Moor et Reculé. Au Lombard.

L'histoire avait fait rire toute la profession. Au moment de lancer la collection « Polyptique », Le Lombard découvre que le fleuron de cette nouvelle collection, « Le dernier livre de la Jungle », ne peut paraître. « On » a oublié de gérer la question des droits, croyant que l'histoire imaginée par Kipling appartient au domaine public. Un an plus tard, la question est réglée ; sans doute Le Lombard a-t-il dû passer à la caisse, mais l'album peut enfin paraître. Que nous réserve-t-il, ce fameux fleuron ? Jusqu'ici, rien d'exceptionnel. Tout le sel du projet devrait se dégager au fil du temps et plus particulièrement dans les deux derniers des cinq albums prévus. Desberg mûrit cette adaptation depuis longtemps. Son idée est de confronter Mowgli au passage à l'adolescence puis à l'âge adulte. D'où l'idée de le présenter d'emblée comme un vieil homme qui revient sur les traces de son enfance, à la lisière de la forêt où il a vécu avec les loups. Frustration pour le lecteur : cette confrontation entre l'adulte et son enfance sera pour plus tard. Place, d'abord, à l'histoire originale, même si elle est légèrement remaniée. Heureusement moins manichéenne que celle de Walt Disney, cette version du Livre de la Jungle nous propose des personnages animaliers plus tourmentés, plus intériorisés. C'est sans doute le seul véritable intérêt de ce premier volume qui donne l'impression de mieux reculer pour avancer. Pour le reste, alors que le propos de l'auteur semble intéressant et audacieux, le lecteur qui connaît déjà l'œuvre originale ne parvient pas toujours à réfréner un léger ennui. Un ennui que le dessin du duo inédit formé par Reculé et De Moor arrive toutefois à tempérer. Certains dessins sont magnifiques, de même que les ambiances, mais il faut se faire à ce graphisme hybride où De Moor encre le crayonné très réaliste de Reculé, loin de sa fantaisie habituelle. Au final, la lecture de ce premier volume apparaît comme un agréable délassement, alors qu'on soupçonne que la suite sera quant à elle véritablement intéressante et plus philosophique. Reste donc à prendre son mal en patience en attendant d'entrer dans le cœur du sujet.
2002-2003 (Carnet de bord) par Thierry Bellefroid
« Carnet de bord 2002-2003 », par Lewis Trondheim. A L'Association.

Il n'est pas encore parti qu'il nous manque déjà ! Lewis Trondheim a décidé de mettre la pédale douce et de freiner sa production avant de se lasser ou de tourner en rond. Une initiative que l'on ne peut que saluer. Mais qui nous prive évidemment de quelques perles à venir. Raison de plus pour apprécier celles qu'il nous propose encore. A commencer par ce nouveau « Carnet de bord » qui commence par un voyage à Frankfort. Passé le clin d'oeil toujours plein d'ironie à sa nature paranoïaque, Lewis Trondheim propose plus loin deux chapitres beaucoup plus intéressants. Le plus réussi est sans conteste son voyage au Japon, avec l'irruption de quelques pages dessinées par Christophe Blain et une foule d'anecdotes très drôles quand elles ne sont pas pathétiques. On voudrait inventer un personnage aussi décalé qu'on n'y arriverait pas ; Lewis Trondheim obsédé par l'envie d'être parfait, poli, conforme à ce que les Japonais attendent de lui... c'est surprenant et très amusant. L'autre beau moment, c'est celui de la première intervention en clinique pour une colloscopie. Evidemment, quand on est légèrement paranoïaque et tout aussi légèrement hypocondriaque, ce genre d'événement est de la matière de premier choix pour un carnet de bord. C'est aussi le moment de l'introspection pour Lewis, qui se trouve dans la position d'un auteur en pleine interrogation sur l'intérêt de continuer à produire. De manière générale, d'ailleurs, il y a tout au long de ce recueil un mélange doux-amer, une légèreté tempérée qui débouche assez naturellement sur le dernier récit, ou « comment avoir le sentiment de maîtriser un peu sa vie ».
Peridot par Thierry Bellefroid
« Peridot T.1 », par Hioko Kobayashi. Chez Panini.

Il y a dans le manga adulte une absence totale de complexe par rapport à l'exploitation de symboles sexuels faciles qui est parfois déconcertante pour le lecteur occidental. Ainsi, cette nouvelle série commence-t-elle d'emblée par une tentative de viol avec ses plans insistants sur la petite culotte de la « victime » que n'oseraient pas forcément la plupart des auteurs de BD franco-belges. Mais au Japon, ça passe, comme passent les héroïnes aux corps de bimbos de cette histoire. Mais au-delà de ce côté un peu voyeur, que trouve-t-on dans « Peridot » ? Une histoire typique de la BD japonaise, en fait, si ce n'est que ses protagonistes sont des femmes. De la baston, des personnages fascinés par la violence, totalement amoraux pour les uns, associaux pour les autres. Et le tout, évidemment, dans le cadre d'un lycée, puisque le but de l'auteur est de répondre à ce qui se passe aujourd'hui dans le quotidien de nombreux adolescents japonais. Heureusement, Mahiru est une héroïne mystérieuse au comportement suffisamment étrange pour ferrer le lecteur et lui donner envie d'en savoir davantage. C'est sans doute dans cette capacité à créer des personnages hors-normes que les Japonais se distinguent tout particulièrement. Car sans l'aura de Mahiru, il n'y aurait ici que des scènes de baston, des poitrines avantageuses et des petites culottes gonflées à craquer. On attend donc de voir comment l'auteur va s'en tirer pour créer un suspense digne de ce nom et nous donner envie de lire « Peridot » au-delà de la curiosité d'un premier livre.
Resurrections par Thierry Bellefroid
« Resurrections », par Jampur Fraize. Chez P.L.G.

Français émigré en Belgique il y a 20 ans, Jampur Fraize est un habitué des fanzines. Il n'est donc pas étonnant de le voir publié par des éditeurs qui sont le prolongement naturel du circuit fanzineux comme Les Requins Marteaux, 6 Pieds Sous Terre ou ici, P.L.G. Ses albums sont tous marqués par une imagination volontiers iconoclaste et un goût pour le kitsch relativement marqué. « Résurrections » en est une preuve de plus. En 32 tableaux, Jampur Fraize s'offre le luxe de faire revivre quelques-unes des plus grandes stars de la musique disparues trop tôt, d'Elvis à Clo-Clo en passant par Mike Brant, Sid Vicious, Sinatra, Kurt Cobain ou Bob Marley. Evidemment, le principe est aussi répétitif que l'était celui de parodier les équipes de football du monde entier dans « Football carnage », paru pendant la dernière coupe du monde, en 2002. Jampur Fraize aime cette idée d'aller au bout du pastiche, mais aussi de l'irrévérence. Il faut avouer que ses dessins de morts-vivants sont loin d'être tristes. Mention spéciale pour le duo John Lennon/Yoko Ono ou pour la tronche de Claude François ou de Marylin Monroe version 2004. Quant aux textes qui décrivent en une ligne ou deux ce que seraient devenues ces stars si elles vivaient encore, ils sont parfois très drôles, parfois un peu plus convenus. Mais c'est vrai qu'imaginer Freddy Mercury en Dupondt au cinéma, doublant par ailleurs la voix de la Castafiore dans un remake américain des « Bijoux » où Tintin serait joué par Jimmy Sommerville m'a bien fait rire. Bref, un humour décalé, joliment trash et imaginatif à souhait, mais pas à portée de toutes les bourses : 18 euros pour un si petit livre lu en une dizaine de minutes, ça fait un peu cher...
Blankets - Manteau de neige par Thierry Bellefroid
« Blankets, manteau de neige », par Craig Thompson, chez Casterman.

Il y a quelque chose d'injuste à écrire quelques lignes, fussent-elles totalement positives, sur un livre de 600 pages de bande dessinée. Quel propos critique n'aura pas l'air réducteur, superficiel, inutile ? Quelle valeur ajoutée peut-on apporter à un ouvrage qui semble se suffire à lui-même ? Car « Blankets » est sans aucun doute un de ces livres à la fois évidents et inattendus. Ceux qui avaient lu « Adieu Chunky Rice » chez Delcourt il y a deux ans pouvaient-ils s'attendre à ce monument autobiographique ? Non, sans aucun doute. Pourtant, « Blankets » n'est pas si éloigné de « Chunky Rice ». L'aspect animalier en moins et l'autobiographique en plus, on y retrouve la même veine poétique, la même fantaisie et la même tendresse. La différence tient ici dans le traitement a priori plus fidèle à la réalité. A priori, car lorsqu'on apprend les distances que l'auteur a prises avec les éléments réels de sa vie, on s'aperçoit qu'il nous a quand même bien eus. Curieusement, à la lecture de cet album, je ne me suis pas posé la question de la véracité de l'histoire, tout sonnait juste, tout paraissait vrai. Ce n'est qu'après que j'ai appris que l'auteur avait purement et simplement « gommé » sa soeur, ou que Raina était inspirée de deux filles qu'il avait connues et non d'une seule. Il s'agit donc bien d'une fiction inspirée de la réalité, ce qui distingue définitivement « Blankets » du journal de bord. Grâce à la longueur du projet, le lecteur a la chance de ressentir toute la subtilité des sentiments naissants du premier amour, mais l'auteur a voulu aller au-delà d'une évocation qui sonnerait comme la madeleine de Proust d'un ex-adolescent. Il y a le contexte familial, d'une part, cette omni-présence de dieu et du poids de la religion. Sans réellement juger, sans nous demander à nous, lecteurs, de juger davantage, Thompson décrit cette Amérique puritaine et la manière qu'elle a de façonner de jeunes adultes souvent partagés entre leurs désirs et les dogmes tout puissants. Mais l'amour qu'il porte à ses parents est plus fort que l'envie de les décevoir en leur disant qu'il a perdu la foi. Le lecteur, lui, partage les doutes, les remises en question comme les peurs et la culpabilité du « héros » au fil de pages où il ne craint jamais de mêler l'histoire d'amour naissante à son cheminement spirituel ; forcément, puisque les deux sont intimement liés. D'autre part, Craig Thompson tente de recréer le plus justement possible l'univers de l'adolescence, presque à la manière d'un ethnologue qui voudrait nous faire plonger dans la tribu qu'il a longuement observée. C'est pour cette raison qu'il abolit la distance entre son héros et le Thompson adulte qui écrit. Chacun d'entre nous est partagé entre la tendresse pour ses premiers émois et l'impression d'avoir été profondément ridicule à cette époque. Craig Thompson n'échappe pas à la règle. Il choisit donc de se fondre dans l'adolescent qu'il était, et à ce titre, son livre est absolument magnifique. Mais il ne l'est pas que pour ça. Ce jeune auteur américain nous prouve aussi à travers « Blankets » qu'il maîtrise le dessin et la narration aussi bien que ses aînés. Il y a quelques scènes réellement merveilleuses dans ce livre. Et même des momens purement magiques. Le dessin est aérien, économe, mais il peut à certains moments foisonner de détails comme pour décrire la chambre d'adolescente de Raina. En fait, Thompson ne donne que ce qui est vital à son récit. Si la neige se suffit à elle-même, il donne la neige. Si au contraire, chaque détail vient renforcer le sentiment de réalité nécessaire à la scène, il ne ménage pas sa peine. Mais sans jamais perdre de vue la lisibilité du dessin. En résumé, et même si certains seront énervés par un album qu'ils trouveront mièvre ou exagérément « romantique », « Blankets » est l'une des sorties les plus intéressantes de cette année. Et un grand album.
« Le livre des destins 1 », par Le Tendre et Biancarelli. Dans la collection Latitudes des éditions Soleil.

Le Tendre chez Soleil, voilà sans doute qui en étonnera plus d'un. C'est que l'éditeur toulonnais étend son offre et vise désormais un créneau plus qualitatif à travers les albums de la collection Latitudes. On ne peut que s'en réjouir. Surtout lorsqu'on se penche sur le résultat de ce nouvel album. Certes, l'entrée en matière a un goût de déjà lu et relu. La plus récente adaptation en BD de cette idée, c'est bien entendu « Le livre de Jack » aux Humanos, une maison qu'a bien connu Serge Le Tendre. Mais le scénariste a l'intelligence de ne pas se contenter de l'histoire du livre qui raconte la vie (passée et future) de celui qui le lit. Il double ce « pitch » classique d'une intrigue presque policière et s'attache à ses personnages. A commencer par Roman, au nom prédestiné, qui s'apprête à quitter l'enfance et son innocence à travers ce qui apparaît comme une quête initiatique. Roman en tête à tête avec le héros de son enfance, son confident imaginaire, Peter Pan. Roman face à son écrivain préféré mué en ravisseur. Roman face au sexe féminin, au charme, à la séduction. A défaut de surprendre à travers son intrigue, Serge Le Tendre nous propose une galerie de personnages intéressante et surtout un héros qui évolue au fil de cette première histoire, sans que le lecteur n'ait l'impression que cela va trop vite ou que Roman subit des événements artificiellement amenés par le scénariste. Pour le reste, le dessin de Franck Biancarelli est totalement au service de l'histoire. Sans chercher l'effet, il se fait discret pour entraîner le lecteur au coeur d'un récit qui pioche à la fois dans le réalisme et dans l'onirisme, ce qui n'est pas forcément facile à traduire graphiquement. Dommage que la couverture soit un peu réductrice et ne rende pas la subtilité de ce qui attend le lecteur à l'intérieur...
Pour une poignée de polenta par Thierry Bellefroid
« Pour une poignée de polenta », par Vincent Vanoli. Chez Ego Comme X.

Vanoli sur deux fronts, début 2004. L'autobiographique, avec cette poignée de polenta. Et le romanesque pour ne pas dire l'épique, avec « La route des Monterias » à L'Association. Deux facettes différentes d'un même auteur, mais aussi deux formes de récit totalement opposées. Pour raconter les souvenirs qui le relient aux siens, Vanoli choisit la page divisée en deux cases, avec une voix-off en-dessous de chaque dessin. Ici, le texte est prépondérant, même si le dessin, toujours soigné et évocateur, est le sésame vers la caverne d'Ali Baba du souvenir. Vanoli nous raconte aussi bien les événéments que leur interprétation. Et c'est là que la complémentarité entre le dessin et le texte est la plus intéressante. On s'aperçoit au fil des pages qu'il est capable de prendre une certaine distance par rapport aux moments qui l'ont marqué et qu'il décide de raconter. C'est ce qui en fait le sel. C'est ce qui rend de petits détails comme « le café officiel de l'après-midi » ou le lierre de la façade à tailler bien plus intéressants qu'anecdotiques. En fait, l'anecdote n'est jamais qu'apparente. Dès que la scène se développe, l'auteur justifie le choix de telle ou telle amplification. Piochés au hasard d'une vie, les souvenirs racontés ici sont en effet les pièces d'un puzzle. Celui d'une famille italienne émigrée en France et restée proche de ses racines. Mais aussi celui d'une vie passée à chercher une certaine forme de bonheur au sein de sa « tribu ». La brusque irruption de la fiction dans l'épilogue en témoigne.
La mort dans les yeux par Thierry Bellefroid
« La mort dans les yeux », par Zezelj et Macan. Chez Mosquito.

Alors que Zezelj poursuit sa carrière de dessinateur de comics aux Etats-Unis, il continue de publier en Europe des albums d'auteur où son penchant pour les personnages troubles et la violence guerrière continue de faire des étincelles. « La mort dans les yeux » n'échappe pas à ces obsessions que l'on retrouve depuis « Invitation à la danse » dans chacune des traductions de Zezelj parues chez Mosquito et qui avaient trouvé leur paroxysme dans « Congo Bill ». Pourtant, cette fois, Danijel Zezelj n'est pas l'auteur du scénario, il dessine une histoire de Darko Macan, mais le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il se la réapproprie pleinement. Son dessin, toujours aussi brut, magnifie la noirceur des personnages et surtout transforme la beauté de Venise en lui ajoutant une trame plombée qui correspond parfaitement à ce récit macabre. Le résultat est un album d'une noirceur étonnante, où la mort tient presque tous les rôles. Ballotés par les affres de la guerre qui vient de s'achever, les héros de « La mort dans les yeux » subissent les caprices de la faucheuse et plongent dans une sorte d'horreur totale qui les engloutit sans jamais céder à la tentation du gore. Comme dans d'autres de ses oeuvres, Zezelj pourfend allègrement les fascismes, quels qu'ils soient, sans pour autant réaliser des oeuvres politiques. Tout est dans le glissement entre la réalité et l'allégorie, entre la fantastique et le contexte. Rien n'est gratuit dans ce livre, pourtant tout y est « beau ». C'est la force d'un grand dessinateur, qui a su comment se mettre au service de son histoire et de son public pour « dire » avec ses crayons la rage qu'il a sur le coeur depuis ses débuts.
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